Le teillage mécanique du chanvre à l’usine de Vaugenlieu

Ce rapport, dont nous publions des extraits, a été lu et adopté dans la séance du Conseil d’Administration de la Société d’Encouragement le 24 février 1864, alors que l’on ne connaissait pas encore l’incendie qui dans la nuit du 21 au 22 a dévoré l’usine de Vaugenlieu (Oise). Elle employait 200 personnes jour et nuit. Le rapporteur J.A. Barral avait fait faire, dès le mois d’août précédent, des dessins des machines et des ateliers.

Lors de notre visite à l’usine au mois de juillet dernier, nous avons vu une grande quantité de bottes de chanvre en meules et sous de grands hangars ; ces bottes ou poignées, ayant environ 25 cm de diamètre, étaient amenées près d’un coupe-racines mû par la vapeur et auquel un ouvrier les présentait pour en faire détacher les racines (figure 1). Douze poignées à la minute étaient ainsi privées d’une partie ligneuse qui ne présente pas de filaments et qui constitue un véritable déchet dans le commerce, où l’on appelle ces racines des pattes. Le coupe-racines employé à Vaugenlieu consiste simplement en une sorte de guillotine dont le couteau se meut verticalement en tournant à une extrémité autour d’une charnière et en se guidant à l’autre extrémité dans une coulisse.

Fig. 1 – Le coupe-racines

Du coupe-racines, les bottes sont portées à un séchoir, où elles sont placées verticalement, et où elles sont soumises, pendant plusieurs heures, à l’action continue d’un courant d’air chaud qui monte à travers les tiges et remplace en France, selon MM. Léoni et Coblenz, l’action des vents chauds du Midi.

Le broyage mécanique, sans le rouissage préalable, avait, d’après les inventeurs, été essayé avec succès, il y a quelques années sur des chanvres d’Italie et de Hongrie qui, à cause du climat chaud de ces pays, se trouvent blanchis et desséchés d’une manière complète avant leur rentrée en grange ; mais l’opération n’avait pas réussi sous nos climats, sans doute parce que les chanvres y sont rentrés alors que le temps déjà froid et pluvieux laisse les tiges encore vertes et humides avec leur gomme douée de toutes ses qualités adhésives.

Le séchoir à double parquet, imaginé par MM. Léoni et Coblenz, suppléerait à l’insuffisance de l’action de notre climat (figure 2). L’air est introduit sous le parquet inférieur dans des carnaux par un ventilateur aspirant et foulant. Le ventilateur prend l’air dans le bâtiment des chaudières, lui fait traverser une série de tuyaux au milieu desquels serpente la fumée des foyers avant de se rendre dans la cheminée de l’usine. De là, l’air est refoulé dans un canal de 50 mètres de Iongueur environ, qui le distribue dans les séchoirs par des carnaux transversaux et construits en briques creuses ; il s’élève ensuite dans les séchoirs d’où il est attiré par des cheminées d’appel qui le déversent dans les ateliers supérieurs, ainsi chauffés et ventilés. Par ces  dispositions, l’air dans les séchoirs n’est pas seulement obtenu économiquement, il est dans un état hygrométrique convenable pour le séchage très délicat des matières filamenteuses encore tendues sur les tiges ligneuses.

Ateliers de séchage et broyage
Fig. 2 – Coupe longitudinale des ateliers de séchage et de broyage

À leur sortie des séchoirs, les bottes sont montées dans l’atelier du broyage, et alors soumises à l’action successive d’une grosse broyeuse double, et enfin d’une teilleuse.

La grosse broyeuse (figure 3) se compose de seize cylindres cannelés horizontaux, superposés, et engrenant deux à deux, de manière à former huit paires. Les deux cylindres de chaque paire sont en communication avec un compresseur, muni de poids, qui leur permet de se soulever plus ou moins, suivant la quantité et la grosseur des tiges qui passent entre eux ; les cannelures deviennent de plus en plus fines, à mesure que les cylindres s’éloignent davantage de l’avaloire en tôle, dans laquelle l’ouvrier introduit une certaine quantité de tiges à la fois, pour les soumettre à l’action de la machine. Les tiges sortent de là avec le bois écrasé, broyé et déjà en partie détaché des filaments textiles. Cette grosse broyeuse est, comme on peut le voir, fondée sur un principe analogue à celui des machines dont la construction a été rappelée au commencement de ce rapport.

Fig. 3 – Vue perspective de la grosse broyeuse

Pour achever le travail, on les fait passer dans une seconde broyeuse, machine jumelle composée de chaque côté de 22 paires de cylindres cannelés, d’un diamètre plus petit que celui de la première broyeuse (figure 4). Ces cylindres sont animés d’un mouvement circulaire alternatif en avant et en arrière, de manière qu’on peut faire passer deux, trois ou quatre fois, à volonté, la matière textile entre leurs surfaces. Ce résultat s’obtient à l’aide d’un excentrique qui conduit alternativement, de leurs poulies folles sur une poulie calée, deux courroies dont l’une est croisée. Des compresseurs maintiennent, comme dans la machine précédente, les deux cylindres de chaque paire à une distance convenable, et aucune partie du bois des tiges n’échappe à leur action. Cette ingénieuse machine a quelque analogie avec celle imaginée par M. Decoster.

Fig. 4 – Vue perspective de la broyeuse à double effet

Les chènevottes tombent en-dessous des deux broyeuses directement dans des caisses placées dans les ateliers inférieurs ; elles se produisent d’autant plus fines que les cannelures sont plus petites et plus serrées ; elles sont immédiatement enlevées pour être employées dans les foyers des chaudières dont elles forment, à Vaugenlieu, l’unique combustible.

Il ne reste plus maintenant qu’à passer les parties filamenteuses dans une nouvelle machine destinée à les débarrasser des fragments de bois qui y adhèrent encore, à les dresser et à les diviser, et enfin à opérer la séparation des longs brins d’avec les étoupes. Ce travail se fait dans la teilleuse à double effet dont il nous reste à parler.

Cette dernière machine, dont le principe rappelle une invention de Philippe de Girard, se compose de deux grands tambours en tôle horizontaux tournant l’un vers l’autre avec une vitesse de 200 à 250 tours à la minute, et maintenus dans une caisse en fonte, sur laquelle sont boulonnés les paliers sur lesquels reposent les axes autour desquels s’effectue la rotation (figure 5). Les surfaces extérieures des deux cylindres sont revêtues de lames alternativement longitudinales et transversales ou perpendiculaires à l’axe, ces dernières ayant une forme parabolique. Les poignées de chanvre, étant introduites entre les deux tambours, sont maintenues par la main de l’ouvrier qui les plonge et les retire deux ou trois fois, selon les besoins ; elles subissent à la fois un alignement, un nettoyage et un peignage. Les fibres se trouvent ainsi convenablement purgées d’étoupes et de bois, et suffisamment divisées et alignées, pour qu’il soit possible que le filage en soit fait directement par les cordiers de marine, pour en fabriquer les gros cordages ; si l’on veut en faire de fins cordages, il suffit de leur faire subir un simple ravalage, et elles ont alors, dit-on, la qualité du chanvre acheté dans le commerce, et qui a subi un épurage au peigne.

Fig. 5 – Vue perspective de la teilleuse à double effet

En fait, nous avons vu dans l’atelier de parage les femmes prendre les poignées de chanvre, et n’avoir qu’à leur donner quelques coups d’un racleur particulier et de très légers soins de rangement, pour les plier, les lier et les placer dans des caisses (figure 6).

Fig. 6 – Atelier de parage des chanvres au sortir des teilleuses, pesage et remplissage des caisses
pour la compression

Les caisses où les poignées sont ainsi déposées doivent servir à la compression du chanvre en balles de 50 kg.

À cet effet, les caisses sont portées sous une presse à vis et à leviers (figure 7), où leurs parois latérales sont maintenues par un encastrement de madriers et des barres de fer ; alors on fait le serrage des presses et on réduit le volume du chanvre environ aux deux cinquièmes ou même à un tiers. On laisse tomber les quatre côtés des caisses en ouvrant les loquets de l’encastrement ; il ne reste que le couvercle et le fond dans lesquels sont des rainures correspondantes qui permettent de faire passer des cordes ; celles-ci sont alors serrées et nouées ; puis on relève les écrous des vis et on enlève les balles qui sont prêtes pour l’expédition (figure 8).

Fig. 8 – Atelier des presses pour la compression et la mise en balles

Fig. 7 – Presse pour la compression du chanvre

Les déchets qui sont tombés à la Veilleuse sont soumis à un peignage à la main par des ouvriers dans un atelier spécial (figure 9) ; ce peignage produit moitié de courts brins, qui sont vendus aussi cher que les premiers brins pour la corderie, et moitié d’étoupes de peignage, qui sont employées à la filature pour les gros numéros.

Fig. 9 – Atelier de peignage des étoupes

J.A. BarralExtraits de : Journal d’Agriculture Pratique, tome I, 1864

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