CBD au volant tolérance zéro ?

Tribune du vendredi 23 juin 2023
du Cabinet d’Avocat Antoine REGLEY.

Interdiction du CBD au volant : quelles conséquences sur la filière ? Quelles critiques juridiques ? Quelles propositions ?

Ce 21 juin 2023, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a jugé que la conduite après usage de CBD répondait à l’infraction de conduite après avoir fait usage de stupéfiants.

Pour motiver son arrêt, la Cour explique que, bien que légalement vendu, le CBD demeure un produit stupéfiant puisque contenant du THC, molécule inscrite sur la liste des produits stupéfiants.

Quelles conséquences juridiques sur la filière CBD ?

Dès lors que la Cour de Cassation juge que le THC est un produit stupéfiant, tout produit «CBD» contenant cette molécule, même en faible dose, devient illégal à la vente, à l’acquisition, au transport et à la consommation. C’est logique. S’il est interdit de conduire après avoir consommé du THC contenu dans le CBD, il devrait donc être interdit d’en transporter, d’en vendre, d’en acheter et d’en consommer. Il serait même interdit de percevoir des recettes provenant de la vente. Ce n’est pas la conduite qui rend le produit illégal. C’est son contenu. Si on condamne une personne pour avoir conduit après usage de stupéfiants, parce qu’elle a usé de CBD, alors c’est toute la chaîne qui s’en trouve impactée.

D’ailleurs, la Cour de Cassation ne craint pas la contradiction en indiquant qu’il est légal de vendre un produit qu’elle analyse, elle-même, comme un produit stupéfiant…

Quelles conséquences sur les utilisateurs et les vendeurs ?

Le citoyen a besoin de sécurité juridique. Si «nul ne peut ignorer la Loi», encore faut-il qu’elle soit claire. En l’espèce, les plus hautes Cours du pays sont en contradiction manifeste :

  • Le Conseil d’État juge que, bien que contenant du THC, le CBD n’est pas un produit stupéfiant, le THC très faiblement dosé ne répondant pas au critère de «psychotrope», et donc à la définition d’une drogue ;
  • La Cour de Cassation pour qui le THC, même non psychotrope, reste inscrit sur la liste des stupéfiants.

Il serait donc légal, sur un plan administratif, d’en vendre, mais illégal, sur un plan pénal, d’en acheter et d’en consommer. CQFD.

Quelles critiques scientifiques ?

La Cour de Cassation juge le droit. Difficile de lui reprocher de rappeler que le THC est un produit inscrit sur la liste des stupéfiants.

Cependant, d’un point de vue scientifique, l’Académie de Médecine et le Conseil d’État ont jugé que la dose de THC contenue dans le CBD n’avait pas d’effet psychotrope. C’est la raison de sa légalisation. Il est donc dommage que la Cour de Cassation, qui ne doit pas être perméable aux réalités scientifiques, n’aient pas répondu à cette difficulté : si pas d’effet psychotrope, pas de stupéfiants.

Quelles critiques juridiques ?

Il en existe au moins deux :

  • La Cour aurait pu s’emparer de la question de la définition d’un produit stupéfiant. Pour des raisons de pure opportunité, et alors qu’elle pouvait le faire, la Cour ne l’a pas fait ;
  • La Cour semble oublier l’élément intentionnel de l’infraction. Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre, rappelle l’article 121-3 du code pénal. Comment, celui qui consomme un produit déclaré comme légal, qui ne sait pas clairement la dose de THC contenu dans le produit qu’il consomme – l’Académie de Médecine a pointé cette absence d’informations sur les paquets vendus – et qui ne peut pas penser une seconde que la Justice ait pu autoriser la vente d’un produit dans lequel il y aurait des stupéfiants, peut-il savoir qu’il conduit après «avoir fait usage de stupéfiants» ? La Cour juge que la présence de THC dans les analyses démontre la consommation de stupéfiant. Si l’argument peut s’entendre sur un plan matériel, que fait-on de la conscience, par le consommateur, qu’il est en train de violer la loi ?

Cette décision est très critiquable de ce point de vue. La démonstration de la conscience d’avoir pris des stupéfiants avant de prendre le volant ne peut pas être déduite des seuls résultats. Le doute, même sur l’élément intentionnel, est un corollaire non négociable de la présomption d’innocence. Il semble, à la lecture de cette décision, que :

  • Le doute ne bénéficie plus au prévenu ;
  • L’élément intentionnel n’existe plus ;
  • La présomption d’innocence n’est plus.

Par ailleurs, ce contentieux pose également le problème de la conduite après avoir fait usage de certains médicaments. On le sait. La consommation de certaines substances médicamenteuses provoque beaucoup d’accidents. Reproche-t-on aux conducteurs d’avoir consommé de la morphine ou des opiacés contenus dans certains cachets ? Oui. Cependant, très souvent, les poursuites sont abandonnées au prétexte que le conducteur ne savait pas. Médicaments psychotropes : impunité. CBD : répression. Deux poids, deux mesures ?

Comment expliquer cette décision ?

Plusieurs explications peuvent permettre de la comprendre :

  • Consacrer les grands principes, et retenir les conclusions de l’Académie de Médecine, revenait à faire annuler des centaines, voire des milliers de procédures pénales en cours ;
  • Consacrer ces grands principes revenait à permettre la condamnation de personnes ayant prétendu avoir consommé du CBD alors que ce serait faux. Faut-il sacrifier des innocents pour qu’aucun coupable n’échappe à la répression ?
  • Consacrer ces grands principes, c’était ouvrir la voie à la légalisation du «cannabis light» ;
  • La Cour de Cassation a clairement souhaité répondre au Conseil d’État. Il est rare que ces deux grandes juridictions aient à se prononcer sur les mêmes questions. Chacune a une vision très différente l’une de l’autre.

Quelles propositions ?

Cette décision emporte un flou juridique absolu. Pour y mettre fin, il suffirait de :

  • Augmenter les seuils de détection dans les procédures pénales. Les scientifiques, et notamment la Société Française de Toxicologie Analytique, rappellent que le seuil de positivité est trop bas. Il ne permet pas de discriminer les consommateurs de CBD et ceux de cannabis. Passer le seuil de détection de 1ng/l de salive à 50 ng/l de salive permettrait de faire la distinction entre les innocents et les coupables ;
  • Changer les kits de dépistages. Problème. Cela coûte cher à l’État.

La Cour de Cassation est libre de rendre les décisions qu’elle veut. Cependant, il est important que la Justice, et les membres respectables la composant, puisse jouir d’un esprit critique. Non, dans notre système, la jurisprudence n’est pas source de droit. Non, nous ne sommes pas dans le système anglo-saxon du précédent. Non, les Magistrats n’ont pas fait tant d’études brillantes pour qu’on leur demande d’appliquer, sans le moindre recul, une jurisprudence qui, comme tant d’autres avant elle, peut changer d’un jour à l’autre.

Les décisions de justice doivent nous éclairer. Pas créer d’instabilité juridique. De ces arrêts doit naître la justice. Pour le moment, c’est bien un sentiment d’injustice et d’insécurité qui flotte dans l’air.

Maître Antoine Régley est une référence dans le domaine des avocats en droit routier à Lille et dans toute la région des Hauts-de-France

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